Vlad Letaxi

Le Gentlemanvlad / Chroniques urbaines / 1 comment

Le téléphone sonne:
« Vlad on a une mission pour toi. »

« Let’s go, j’écoute… »

« On a un gars vraiment spécial à te confier. »

« Pas de trouble, en autant qu’il tip bien… »

Je me rends à l’adresse en question où le client m’attend déjà devant la porte; stature athlétique, manteau et gants noirs… Je suis à peine stationné que ce dernier monte tel un éclair à l’arrière du taxi.

« Comment ça va boss? »

« Ça va bien, et toi? »

« Pas pire. »

« Est-ce que j’peux fumer ici? »

« Avec un gros tip, tu pourrais fumer du crack tant qu’à moi… »

« Non, j’suis plus le genre à fumer des simples cigarettes. »

« C’est toi le boss, tu fais ce que tu veux grand chef. »

« Criss, j’t’aime déjà toé! »

Je jette un coup d’œil rapide au rétroviseur, pas d’erreur possible, il s’agit bien d’Éric Lapointe que j’ai dans mon cab.

« En passant, j’aime bien ce que tu fais comme musique… »

« Bon, bon, t’es pas obligé de faire le têteux. Si t’aimes pas vraiment ça… »

« Non pour de vrai man, j’trouve que tu as beaucoup de talent. La source d’inspiration tu la prends d’où? »

« D’où ça fait mal, le cœur… »

« Wow… c’est poétique. »

« Bon, tu m’envoies encore des fleurs?!? »
 Non, j’fais juste te dire ce que j’pense; moi aussi j’parle du cœur.

«Y me mentaient pas les gars quand y disaient que t’étais différent des autres. »

« Merci! Je l’prends comme un compliment. »

« C’est bien de ça qu’y s’agit. »

« Cool! »

Il est calme, relaxe. Il bouge à peine, si ce n’est que pour inhaler à l’occasion, le bout de papier roulé qui brûle entre ses doigts. Il me paraît imperturbable, impénétrable. Comme si rien ne pouvait l’atteindre. Avant qu’un silence maladroit ne s’installe, je relance notre échange.

« Ta chanson sur Montréal, j’adore! Du vrai son pour une vraie belle ville. »

« Merci. »

« Tu as réussi à donner un hymne remarquable à une ville toute aussi remarquable… »

« Arrête toé, t’es en train de me faire de la poésie [de me chanter la pomme]… »

« Je vois que t’as de la misère à prendre les compliments… mais bravo tout de même. »

« T’arrêtes pas toé. »

J’avais tellement de questions à lui poser mais aucune d’elles ne me venaient à la tête; puis, tout naturellement:

« Les femmes dans la vie d’un rockeur, quelle place ça occupe? »

« Juste un conseil y faut pas te laisser distraire parce que tu peux vite tomber sur la dérape si tu te watch pas… »

« Ah ouais? Donne-moi donc des détails, et j’aimerais que ce soit croustillant, s’il vous plaît! »

Je pensais vivre des aventures rocambolesques au volant de mon taxi, mais comparé à ce qu’il m’a raconté, ma vie est aussi passionnante qu’un robinet d’eau chaude que l’on a oublié de refermer. Bien sûr, je ne peux rentrer dans le détail de ces confidences… Après une couple de jokes plates que se lancent deux gars dans un taxi au sujet des femmes, nous arrivons enfin à sa destination.
Il me paie grassement le prix de la course (pour les cheap qui ne comprennent toujours pas, ça veut dire un gros pourboire), en plus de me donner deux billets pour son spectacle…

« Merci pour les tickets boss, t’es vraiment cool. »

« Arrête de faire le têteux. J’suis content de te les donner. »
 
Un client m’a dit un jour: « On reconnaît une bonne personne, pas seulement par ce qu’elle fait, mais surtout par ce qu’elle fait qu’elle n’a pas à faire (ou quelque chose du genre…) ».


Éric aurait pu partir sans même me laisser de pourboire, ni même m’adresser la parole. Il ne sait pas que je tiens ce blog, et pourtant, en plus de sa largesse pour la virée, il m’a fait cadeau de billets pour son show de Noël.

Un vrai gentleman ce Éric Lapointe.