octobre 18, 2013 at 2:37
Le Retardatairevlad / Chroniques urbainesPhotos / 5 comments
5:00pm, l’heure à laquelle je dois rendre le taxi, comme d’habitude je serai en retard. Ponctualité? Connais pas. Je ne suis pas à l’heure, et telle la calèche de Cendrillon, mon taxi se transformera en citrouille (moi, en mulet). Quelle coïncidence, les taxis qu’on m’assigne sont souvent de véritables citrons!
Il s’appelle Joe, il est le propriétaire de la flotte de taxi. C’est sous sa bannière que je vagabonde des nuits entières dans les rues de Montréal. Sa vie, c’est le taxi…il prend ça très au sérieux. S’il y a bien une chose qu’il ne supporte pas, ce sont les retardataires. Il s’agit d’un crime de lèse-majesté que de ne pas être à l’heure avec l’un de ses joyaux, un crime qu’il châtie d’une pénitence d’ordre royale: un char de marde accompagné d’une amende plutôt salée; à quel point salée? $20.00 pour les premières cinq minutes de retard, $40.00 après 15 minutes, $60.00 après 30 minutes et enfin $100.00, soit le prix de la location, si le sujet a le malheur de se présenter après 6:00pm.
Si seulement ça s’arrêtait là, ce serait cool… Mais, c’est sans tenir compte du chauffeur suivant qui attend après moi pour débuter son shift (il risque de me demander un petit quelque chose pour le désagrément).
Toute la scène se produira sous les yeux de Miloud, le mécanicien de la place, et de quelques autres curieux. Beau spectacle en vue…
Je suis encore au cœur du Centre-ville après avoir finement évité un trafic monstre. Passant par des ruelles, fermant les yeux sur une signalisation déficiente, le temps se fait aujourd’hui mon allié, contrairement à l’habitude, lorsqu’il se dresse contre moi en ennemi à abattre.
Bon, c’est moins pire que je ne le pensais. Il est moins cinq et j’ai un peu d’avance. Je passe la rue Bernard, file comme une flèche sur St-Laurent, lorsqu’une scène lyrique dévie mon tir pour me jeter carrément au pied du mur. Sous le pont Van-Horne, des artistes ont recréé à leur façon les charmes de la peinture. Soudain tout devient secondaire, je dois m’arrêter pour admirer un temps, la magie envoûtante qui émane de ces fresques urbaines.
Pas le choix; malgré tout le stress que je vais me taper, je me dois de vous partager ces quelques clichés.
Après cette petite escapade, j’arrive au garage à 5:15pm.
Les yeux rouges de Joe ne mentent pas, il est fou de rage. Il s’approche de moi, articulant ses lèvres sur un ton à la fois complaisant et autoritaire, comme seul lui sait le faire, il me dit:
« Pourrais-tu me rendre service? »
« Oui » (ça dépend quoi…)
« Le chauffeur du 56**, a oublié la clé du taxi dans le taxi. »
(Ah bon) « Et? »
« Pourrais-tu lui apporter le double? »
C’est bien connu, quand on a besoin de vous, on vous frotte du bon côté du poil. Le bon grand méchant Joe n’échappe pas à cet axiome. Moi qui m’attendais à un déluge d’insultes ou de réprimandes, suis plutôt accueilli par une proposition délicate, même suppliante. Je capitalise sur la situation:
« Ça me donne quoi à moi boss, d’aller lui porter la clé? »
« J’vais penser à toi la prochaine fois… »
Une de ses tactiques préférées, faire des promesses qu’il n’aura jamais à tenir.
« Non, pense à moi tout de suite. Tu sais, tous mes comptes en contentieux avec toi, pour les retards? Mets un gros X dessus. C’est cool? »
Il a besoin de moi il ne peut refuser.
« Ouais, comme tu dis c’est cool. »
Par expérience, je sais qu’il souffre d’Alzheimer avancé quand il doit, et qu’il fait preuve d’une mémoire sans faille quand on lui doit. Par conséquent, je transcris notre deal informel sur papier et lui demande d’apposer une signature, le tout avec un grand sourire.
« C’est quoi ça? »
« Une entente officielle; tu sais ce qu’on dit boss: les paroles s’envolent mais les écrits restent. »
« T’es malade toi! Es-tu sérieux? »
Joe le Cheap aimerait infiniment mieux se rendre au Centre-ville à quatre pattes en bénissant le sol (Joe, c’est aussi le Pape du taxi). Demander de l’aide, ce n’est pas dans sa nature; Joe est trop fort, trop fier. Il doit être mal pris, je me permets un peu d’arrogance…
« Signe ta vie sur le document boss. »
« Calisse, t’apprends vite! T’es rendu presque plus smat que moi! »
« Comme tu le dis souvent, travailler pour toi c’est comme être à l’Université de la vie; j’ai maîtrisé quelques notions. »
« Ah oui, comme quoi par exemple? »
« Comme, comment ne pas se faire avoir par un Séraphin mégalomane de ton genre. »
« Sacrifice, j’pensais être le seul « wise » ici! Si j’fais pas attention tu vas prendre ma place dans pas long. »
« Ben non boss, Ben non. »
Une semaine plus tard, en allant conduire des copines à moi au B-Side, je coupe à travers le stationnement entre St-Laurent et St-Dominique, au nord de Sherbrooke, et pour une seconde fois, ma course est interrompue par un spectacle impromptu sur les murs de la Métropole.
Rien à foutre des retards! Fort de cette nouvelle découverte, je recherche d’autres portraits qui transforment la brique en œuvre d’art.
5 Commentaires
MERCI pour le compliment Jade !!! 😉
C’est promis Joe Letaxi, c’est une de mes chansons favorites.
Vlad,
si un jour tu me reconduis qq part, je te demanderai de me fredonner un petit bout de cette fameuse chanson de Vanessa Paradis…. alors d’ici là, pratique!
G. 😉
En passant, super les murales!
Merci Jade !!! 🙂
Une tres belle plume pour un presume <>.
Bonne continuite
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