septembre 3, 2014 at 8:14

HEROCULTEUR: HERO DES TEMPS MODERNESvlad / Chroniques urbainesTaxi / no comments


Je parcours mon rubik’s cube favori version 3D, ma ville, Montréal.


Au loin, je vois sa main levée; avec son chapeau type Indiana Jones, je ne peux pas le louper et s’il tenait un fouet, l’illusion serait parfaite!


Il dégage un air de simplicité et d’humilité et je sens déjà que la conversation sera facile.


« Tu fais quoi dans la vie grand chef? »


« J’aide les jeunes à retrouver le droit chemin, en leur faisant découvrir les vertus de la terre. »


« La terre? Les jeunes aiment-t-ils vraiment ça? »


« Pour certains c’est le sport, pour d’autres c’est la musique, l’informatique ou la danse. Pis y en a pour qui c’est l’amour de la terre. Si le jeune a la graine du cultivateur en lui, moi je m’arrange pour la faire pousser. »


« Si je comprends bien, les jeunes sont pour toi des plantes que tu dois amener à maturation. »


« Je l’avais pas vu de même, mais ouais, c’est en plein ça. »


« Ça doit être cool de former quelqu’un comme ça. »


« Oui, c’est un cadeau; faire ce qu’on aime et sentir qu’on sert à quelque chose. Y a pas mieux. »


« Tu te trouves chanceux? »


« Mets-en… Quand tu entres chez toi le soir et que tu as aidé un jeune qui était dans un gang de rue; que tu réussis à le faire voir un autre chemin; que tu le vois changer du tout au tout… C’est juste trop valorisant. »


« Ça doit pas toujours être facile pour ces jeunes-là? »


« Non. Imagine un kid qui ne connait que ça; qui depuis le début de l’adolescence fait des larcins, il monte dans la hiérarchie de la criminalité pour faire des $1000-$2000 la semaine. Puis du jour au lendemain, il travaille la terre pour un salaire de 200-300 dollars par semaine… »


« Ouin, maudite réduction de salaire! Ça ne doit pas être facile. »


« Une bonne plante qui pousse dans la mauvaise herbe ne peut pas atteindre son véritable potentiel. Mais si tu rempotes cette même plante dans un environnement sain et structuré, elle reprend ses forces pour resplendir de toutes ses feuilles; il en va de même pour un jeune. »


Je laisse passer deux filles sur leur skateboard; on freine à l’arrêt pendant qu’il continue son explication.


« La terre, c’est un apprentissage. Il faut mettre du temps, de l’attention et des efforts pour faire pousser une plante. Les jeunes apprennent que tout n’arrive pas instantanément et que l’on ne peut pas toujours prendre des raccourcis. »


« Y a beaucoup de vrai dans ce que tu dis grand chef. »


« Ben oui, rien ne se fait en claquant des doigts; les kids finissent par le comprendre et c’est une grande leçon de vie. »


« Wow, tu boucles la chaîne; c’est l’histoire infinie du cercle. »


« Pardon? »


« Ben oui vieux, l’équilibre, le yin et le yang. »


Je vois bien dans son visage qu’il ne saisit pas où je veux en venir.


« Écoute, eux ils font pousser des plantes, mais toi tu fais pousser en eux la plante de l’espoir. C’est la rotation complète du cercle. Tu cultives le positif en eux, et ils re-cultivent tout ce que tu leur apprends non seulement dans leurs plantes mais aussi en faisant leur part dans notre société… C’est très noble. T’es vraiment un bon gars. »


« Arrête, tu vas me gêner. »


« Ben non mon vieux; on vit dans une société qui met sur un piédestal des gens qui ne foutent rien de leur vie. Le genre Paris Hilton ou Kim Kardashian, pour qui le seul acte désintéressé c’est de se payer des drinks à $1000 le verre, ou d’avoir baisé avec l’équivalent de toute une équipe de football… »


« C’est dommage. »


« Dommage tu dis? Les jeunes finissent par avoir ce genre de personnages comme modèles au lieu de types comme toi. Non, il faut le dire haut et fort, toi t’es un vrai héros! 3 fois bravo. »


« Merci, c’est gentil. »


Plus tard, je me rappelais d’un jeune homme que j’avais rencontré à bord de mon taxi, un garçon sympathique et vif d’esprit qui, mit face aux infortunes de la vie, avait pris de mauvaises décisions; le profil même de ces jeunes dont l’horticulteur et moi parlions plus tôt. J’avais été tellement touché par le parcours de ce jeune homme, que j’avais été très proche de verser des larmes, moi, un gars qui ne pleure plus depuis l’âge de treize ans (bon, peut-être lorsqu’il s’agit de funérailles)…


Après ma rencontre avec l`horticulteur, je me suis arrêté sur le bord de la route; cet échange avait exorcisé ce malaise que j’avais en moi. Je suis sorti du taxi et qui sait, c’était peut-être ma façon de pleurer? J’ai crié à m’en crever le tympan.


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